Traduction en français: Akihiko Okamura – The Memories of Others

 

Akihiko Okamura: Les souvenirs des autres

11 avril - 6 juillet 2024

A partir de 1969, l'Irlande du Nord a attiré des photographes étrangers pour couvrir le conflit. Certains d'entre eux ont été personnellement touchés par le sujet. C'est le cas du photographe japonais Akihiko Okamura qui est venu vivre en Irlande à ce moment charnière de notre histoire, alors déjà intéressé par la répression post-coloniale. Né à Tokyo en 1929, Okamura s'est fait reconnaître pendant la guerre du Vietnam comme l'un des plus grands photographes de guerre japonais de sa génération. Après un premier voyage en Irlande en 1968 sur les traces de J.F Kennedy, il s' est installé en 1969 à Avoca dans le comté de Wicklow, où il a vécu avec sa famille pendant près de vingt ans, photographiant à la fois le Nord et le Sud jusqu'à sa mort, à l'âge de 56 ans, en 1985. Les photographies d'Okamura de l'Irlande, qui ont rarement été exposées auparavant, témoignent d'une vision artistique unique. Cette singularité est en partie due au fait qu'Okamura a choisi de vivre en Irlande. De tous les photographes internationaux actifs à cette époque, il était en ce sens un cas singulier d'engagement absolu envers l'histoire de l'Irlande et de l'Irlande du Nord. Cette relation particulière avec son sujet, aussi bien en tant qu'étranger qu'en tant qu'initié, l'a amené à créer des images qui ont été novatrices autant dans sa propre pratique que dans la représentation photographique des Troubles. Son profond lien personnel avec l'Irlande lui a permis de développer une nouvelle méthode de documentation des conflits, en recherchant des moments poétiques, paisibles et divins dans la vie quotidienne en temps de guerre.

Les photographies d'Okamura offrent un point de vue unique sur le conflit en Irlande, en rejetant souvent le narratif pour proposer un calme métaphorique ou réfléchi. Contrairement à d'autres représentations du nord de l'Irlande à cette époque, les photographies d'Okamura sont presque toutes en couleur. Ses images Kodachrome, intriguantes et luminescentes, se distinguent des habituels images photojournalistiques "iconiques", principalement en noir et blanc, qui capturent le spectacle de la violence pour les médias d'information internationaux. Leur palette douce et feutrée est en contraste avec la situation violente dans laquelle les images ont été produites. À bien des égards, l'on peut remarquer qu'elles sont en décalage avec les représentations photographiques conventionnelles et "héroïques" qui ont fini par définir cette période. Le travail d'Okamura révèle une perspective plus distante et patiente, au-delà des représentations d'émeutes, de voitures en feu et de bâtiments bombardés. Il a choisi de se concentrer sur des moments plus calmes, intimes et quasi-surréalistes qui révèlent son intérêt profondément ancré pour les communautés qu'il a photographiées et sa proximité avec elles.

Toujours insaisissable, Okamura semble s'être déplacé de manière invisible parmi les communautés qu'il a photographiées. Il s'est rarement confronté directement à ses sujets - son regard est souvent oblique ; sa perspective est subjective mais il ne porte pas de jugement. Plutôt que de se concentrer sur le centre de l'action pendant les manifestations ou sur les conséquences d'actes de violence, Okamura s'intéresse plutôt à des moments de contemplation individuelle, des petits gestes et des scènes plus calmes aux alentours.

Cette exposition est le résultat de nombreuses années de recherches et de collaborations internationales visant à mettre en lumière ces archives extraordinaires et à élucider le "mystère Okamura" : Pourquoi un Japonais aurait-il choisi de s'installer et de fonder une famille en Irlande au plus près du conflit? Pourquoi était-il si lié à une histoire qui n'était pas la sienne et à la mémoire des autres ? Tandis que le mystère contribue aussi à la beauté de ces archives, quelques éléments permettent de mieux comprendre le destin d'Okamura et la portée historique et contemporaine de son œuvre.

Bien qu'Okamura ait été l'un des rares Japonais à vivre en Irlande durant ces années et le seul à avoir photographié le conflit, personne ne semble se souvenir de lui. La redécouverte de ces archives constitue une révélation tant pour l'histoire de la photographie japonaise que pour l'histoire irlandaise. Tel un esprit, invisible, Okamura n'a laissé qu'une trace de lui-même à travers ses photographies.


Premier étage

Première salle sur la gauche:

Panneau 1:

Le regard d'un étranger

Les images évocatrices de l'Irlande prises par Akihiko Okamura révèlent l'œil distant mais aussi extrêmement observateur d'un étranger. L’aura pérenne et la force tranquille qui se dégagent de ces images (qui hantent et qui sont hantées) ne s’estompent pas au cours du temps. Ce qui était frappant dans la façon qu’avait Okamura d’observer les choses était la complexe fusion entre le détachement et l’observation intime, son point de vue extérieur qui illuminait l’inébranlable quotidien d’un endroit où la normalité avait été brutalement fracturée et l’ordinaire bouleversé. A première vue, sa photographie d’apparence banale de six bouteilles de lait, rangées par trois sur deux lignes nettes, posées sur du béton ensoleillé sous un mur en crépis, semble être une étude de lumières, couleurs, formes et ombres. Motif marquant de l'œuvre d'Okamura, cet objet quotidien associé à l'enfance, pourrait devenir une arme : un cocktail Molotov. Okamura était parfaitement conscient de cette potentielle utilisation. Les bouteilles de lait apparaissent dans plusieurs des images d’Okamura, “à l’état pur”, blanches, symboles d'innocence, de vie, de paix; puis vide, ou brûlées, après leur métamorphose. Son “portrait” de six bouteilles de lait photographiées dans la lumière blanche du Nord est saisissante dans un premier temps de par son élégance formelle, puis dans un second temps de par sa puissante symbolique.

Corde à linge, Irlande, vers 1978

Pots à lait en attente de collecte, Irlande du Nord, 1970

Bouteilles de lait sur un pas de la porte, Irlande, années 1970

Bouteilles de lait vidées et pierres avant les émeutes, Rossville Flats, quartier du Bogside, ville de Derry, Irlande du Nord, vers 1969


Grande salle - mur de droite:

Histoires controversées

Poursuivant son intérêt pour la répression post-coloniale, Okamura est arrivé en Irlande à un moment charnière de l'histoire controversée de l'Irlande du Nord. En effet, une série de marches pacifiques pour les droits civiques de la minorité nationaliste avaient laissé place à une sorte d'insurrection disséminée provoquée par la réponse de plus en plus violente de l'État à l'égard des manifestants. Il était dans la ville de Derry pour la marche des "Apprentice Boys" loyalistes le 12 août 1969 lorsque des émeutes ont éclaté après le passage du défilé près de Bogside (banlieue de Derry, fief de l'IRA). Trois jours de batailles intenses dans les rues entre la police et les jeunes des lotissements de Bogside et de Creggan (très grand lotissement de Derry) se sont soldés par une petite victoire pour les habitants, qui ont proclamé le quartier "Free Derry" (Derry libre), aujourd'hui reconnu de par son nom . Connue sous le nom de "bataille de Bogside", cet épisode de résistance violente a marqué le début des "Troubles". Les photographies d'Okamura nous offrent une perspective unique sur ce moment de l'histoire, renonçant à la narration pour offrir un récit plus participatif et plus subjectif.

Ce mur, de droite à gauche :

Fountain Street, ville de Derry, Irlande du Nord, vers 1969

Foule regardant les membres de l' "Orange Order" défiler lors d'une parade du 12 juillet, ville de Derry, Irlande du Nord, vers 1969.

Femme au coin d'une rue lors d'une marche de l' "Orange Order", ville de Derry, Irlande du Nord, vers 1969

Jeune membre d'un groupe de musique lors d'une parade du 12 juillet, ville de Derry, Irlande du Nord, c.1969

Enfants préparant une effigie du lieutenant-colonel Robert Lundy, ville de Derry, Irlande du Nord, années 1970. Lundy était le gouverneur de Derry, considéré par les loyalistes d'Ulster comme un traître pendant le siège de Derry en 1688. Une effigie de Lundy a été brûlée à la fin de la parade annuelle des Apprentice Boys en août 1969.

Préparatifs pour les célébrations du 12 juillet dans le quartier de la fontaine, ville de Derry, Irlande du Nord, vers 1969

Mur du fond, de droite à gauche :

Soldat britannique, Belfast, vers 1969

Soldats britanniques se reposant sur un mur, Divis Street, Belfast Ouest, Irlande du Nord, vers 1969

Soldat au coin d'une rue, ville de Derry, Irlande du Nord, vers 1969

Sur le même mur:

L'incendie de Bombay Street

Okamura s'est rendu à Belfast à temps pour assister aux violences sectaires qui ont éclaté dans certains quartiers de la ville lorsque des foules loyalistes, soutenues par la police, ont attaqué plusieurs quartiers catholiques. Sept personnes ont été tuées, des centaines d'autres blessées et plus de 1 800 familles ont été évacuées alors que des rues entières étaient incendiées. Contrairement à d'autres représentations de l'Irlande du Nord à cette époque, les photographies d'Okamura sont presque toutes en couleur, un décalage notable avec les représentations conventionnelles "héroïques", en noir et blanc, qui ont fini par définir cette période de l'histoire irlandaise.

De droite à gauche :

Des habitantes se tenant à côté de leurs affaires ménagères près de leurs maisons incendiées, Bombay Street, Belfast Ouest, Irlande du Nord, 1969.

Affaires de foyers dans la rue après l'attaque de

Bombay Street, Belfast Ouest, Irlande du Nord, 1969

Des habitantes se tenant près de leurs maisons incendiées, Bombay Street, Belfast Ouest, Irlande du Nord, 1969

Soldat britannique portant une porte, Bombay Street, Belfast Ouest, Irlande du Nord, 1969

Femmes traversant un barrage de l'armée britannique, Irlande du Nord, c. 1969

Mur suivant:

Lecky Road

La poignante série Lecky Road a été réalisée dans le quartier du "Bogside" de la ville de Derry, à la suite de l'assassinat de Desmond Beattie (19 ans) et de Seamus Cusack (28 ans) en juillet 1971. Ces hommes ont été les premiers à être abattus par l'armée britannique à Derry. Ce moment crucial a creusé un fossé entre l'armée britannique et la communauté nationaliste, fossé qui ne sera jamais comblé. Les couleurs douces d'Okamura contrastent avec la violence de la situation dans laquelle elles ont été créées. La qualité poétique de son travail n'est pas courante dans le photojournalisme, où le sujet doit être central et évident. Ici, la violence passe à l'arrière-plan. Elles suggèrent un sentiment d'innocence perdue et d'histoire en suspens, un prélude des longues années sombres de violence et de mort à venir.

De droite à gauche :

L'endroit où Seamus Cusack a été tué, Bogside, ville de Derry, Irlande du Nord, 1971

Habitants du quartier sur le site où Seamus Cusack a été tué, Bogside, ville de Derry, Irlande du Nord, 1971

Monument commémoratif sur Lecky Road, dans la ville de Derry, marquant le lieu où Desmond Beattie a été tué par balle, Bogside, ville de Derry, Irlande du Nord, 1971

Des habitants au monument commémoratif de Lecky Road, dans la ville de Derry, marquant le lieu où Desmond Beattie a été tué par l'armée britannique, Irlande du Nord, 1971

Mur central:

Droits civiques - Le moment perdu

La marche pour les droits civiques a été bloquée par la police, principalement protestante, la Royal Ulster Constabulary (RUC). Les violences policières qui s'en sont suivies ont été filmées par un caméraman de la RTÉ, Gay O'Brien. Du jour au lendemain, la cause des droits civiques en Irlande du Nord est devenue un problème mondial. Les marches qui ont succédé dans le Nord ont donné lieu à des contre-manifestations loyalistes, dont la plus célèbre s'est déroulée à Burntollet Bridge, dans le comté de Derry, en janvier 1969. Avec le Français Gilles Caron et l'Anglais Clive Limpkin, Okamura fait partie des photojournalistes étrangers qui ont été témoins de cette violence à Derry. Alors que les photos de Caron et de Limpkin ont été largement diffusées dans la presse internationale de l'époque, celles d'Okamura n'ont pratiquement pas été publiées en dehors du Japon.

Côté gauche :

Foule de personnes se rassemblant pour une manifestation en faveur des droits civiques dans le quartier de Waterside de la ville de Derry, Irlande du Nord, 1969.

Côté droit :

Dans l'une des rares photographies qu'Okamura a prises d'une véritable émeute, une groupe de soldats se tient derrière une rangée de grands boucliers dans une rue jonchée de pierres, tandis qu'à l'arrière-plan, des témoins regardent la scène depuis les fenêtres et les pas-de-porte. Il est intéressant de noter qu'Okamura a choisi de ne pas montrer les émeutiers.

Il s'agit peut-être de l'une des premières images d'un phénomène propre à l'Irlande du Nord : l'émeute en tant que sport de spectateur pour les habitants qui s'ennuient ou qui sont curieux.

De gauche à droite :

Soldats britanniques en tenue adaptée pour les émeutes lors d'une manifestation, Creggan Estate, ville de Derry, Irlande du Nord, vers 1970.

Soldat britannique observant la foule depuis la muraille de Derry, Irlande du Nord, 1969

Equipement pour les émeutes de la police RUC, ville de Derry, Irlande du Nord, vers 1969

Film: Les souvenirs des autres

Ce documentaire dévoile le travail extraordinaire du photographe japonais Akihiko Okamura en Irlande pendant les "Troubles", et l'impact artistique et émotionnel de sa récente redécouverte.

Avec des interviews de Tom Burke, Sean O'Hagan, Anthony Haughey, Rihito Kimura, Trish Lambe, Kusi Okamura et Masako Toda.

Réalisé par Pauline Vermare et Marc Lesser.

Produit par Lucky Tiger Productions, New York 2024

Durée 20mn

www.luckytigerproductions.com


Deuxième étage

Salle sur la gauche:

Observer les protagonistes

Okamura a suivi les principaux protagonistes du conflit en Irlande, photographiant tour à tour des soldats britanniques ou des membres de l'IRA lors d'exercices mais aussi les leaders politiques de l'époque, dont le politicien loyaliste Ian Paisley et la militante pour les droits civiques Bernadette Devlin. Il a également photographié de nombreuses manifestations loyalistes et républicaines. Une photographie représente une femme en deuil tenant le portrait de Frank Stagg, un républicain décédé le 12 février 1976, après une grève de la faim de soixante-deux jours à la prison de Wakefield, en Angleterre, pour protester contre le refus du gouvernement britannique de le transférer dans une prison d'Irlande du Nord. Okamura a conservé une copie de l'affiche "Murdered by Brits" qui apparaît sur cette photo. Bien que de gauche dans ses idées politiques et ses convictions, Okamura était remarquablement démocrate et impartial dans son approche.

Bernadette McAliskey, protagoniste de la lutte pour les droits civiques, avec d'autres manifestants, Bataille de Bogside, ville de Derry, août 1969

Femme portant une affiche avec le portrait de Frank Stagg lors d'une marche républicaine, Irlande du Nord, années 1970. Stagg était un gréviste de la faim de l'IRA originaire du comté de Mayo. Il est mort à la prison de Wakefield, en Angleterre, après soixante-deux jours de grève de la faim en 1976.

Le révérend Ian Paisley et ses partisans lors d'une manifestation unioniste à Stormont, Belfast, Irlande du Nord, 1970.

Foule lors d'une manifestation pour les droits civiques, Derry, Irlande du Nord, vers 1969

Exercice d'entraînement de l'IRA, lieu inconnu, Irlande, 1970

Homme tenant une cartouche de fusil de chasse usagée, ville de Derry, Irlande du Nord, 1969

Couloir